La Bergerie Céramiques

En attendant le bateau...

En attendant le bateau…

 

 

A l'heure du baratin post-crise financière (et alors que le dur de la crise est peut-être devant) et de la remise à l'honneur des « vraies valeurs » (le bio, le commerce équitable et toutes les pommades que l'on tartine sur la gangrène de notre société), on aurait pu croire que l'artisanat d'art rentrait dans le cadre à la mode, en attendant que l'ancien système financier qui a explosé en vol ait été reconstruit à l'identique.

Il n'en est rien ; le désintérêt de nos dirigeants grands ou petits pour cette filière est tel, qu'ils ne jugent même pas utile de faire semblant d'y croire ou de s'inquiéter de son avenir.

Ainsi de Vallauris.

Voilà une petite ville qui a connu une ère de prospérité remarquable, basée sur la création. Un exemple, en quelque sorte.

Son déclin a commencé dans les années 80 ; on ne peut donc pas parler de surprise.

Chaque année, moins de visiteurs, moins de ventes, moins d'ateliers. Une bonne couche d'insécurité là-dessus, et de négation du phénomène par les édiles. Le verbe ayant remplacé l'action, le gâchis d'argent public devenu systématique, l'absence de bilans et de perspectives, le goût pour les fausses valeurs, les faux problèmes et les fausses solutions, tout a concouru avec une régularité de métronome à la situation actuelle : comme disait M. Prudhomme, nous étions au bord du gouffre, mais nous avons fait un pas en avant.

Vallauris était malade, elle est entrée en agonie ; aujourd'hui, ses souffrances sont en phase terminale : elle est en état de mort clinique. Requiescat in pace.

Nous pourrions, la pièce terminée, en proclamer le générique, façon « Au Théâtre ce soir » : « Aux Biennales inutiles et coûteuses, M. …. » ; « Aux travaux urbains ratés, M….. » ; « A la communication nullissime, Mme …. » ; « Aux combines et copinages, MM., Mmes… ».

Le mode de gestion municipale est d'une redoutable simplicité : remplacer les promesses non tenues et les recettes qui ont échoué par des promesses toutes neuves et des potions fraîches. Et dilapider gentiment l'oseille.
Par exemple, il y a peu, le sauvetage était supposé venir d'une marée d'autocars de tourisme qui lâcheraient une déferlante d'acheteurs sur notre cité ébahie. Qui ferait venir ces cars ? Un office du tourisme atteint de longue date par une attaque massive de prions et de mouches tsé-tsé ? Les services idoines de la mairie, lesquels, pour surnuméraires qu'ils soient, ont l'efficacité du Ministère des Dons et Legs décrit par Courteline ? Et où a-t-on vu que les voyageurs en car, fauchés par excellence, lâchaient les millions tels la Semeuse de nos regrettées pièces de 1 franc ?

La réponse n'a pas tardé à venir : la légende des cars sauveteurs était juste destinée à gagner un peu de temps, ce qu'elle a fait à moindre frais.

Et voilà les bateaux, la cavalerie des westerns, qui va sauver les valeureux pionniers en déboulant juste à temps. Tenez bons, les bateaux arrivent ! Explication.

Vallauris disposant d'une façade maritime, le bourg de Golfe-Juan, « on » a donc décidé d'y faire relâcher les croisiéristes. Bonne idée ; mais de là à supposer que ces braves gens se précipiteront à Vallauris pour s'y gaver de céramiques, il y a un pas de deux kilomètres que seuls les naïfs franchissent, et encore, en esprit. Mais le caractère improbable de l'événement n'en nourrit pas moins le discours officiel, et les colonnes de l'inénarrable canard local.

Je repense à cette vieille histoire de la Guinée-Conakry, gémissant sous le joug du tyran Sékou-Touré, et dont les habitants ne trouvaient plus de chaussures. Le pouvoir ne manquait jamais de faire miroiter la prochaine venue d'un bateau salvateur, chargé des « Bata » tant espérées. Le bateau tardant à pointer son étrave, les Guinéens fabriquaient des sandales, fort résistantes au demeurant, dont la semelle était taillée dans de vieux pneus. Et, dans leur infinie sagesse, leur infinie résignation et leur humour à fleur de vie, ils les avaient baptisées des « En Attendant le Bateau ». Ca a duré trente ans.

Les Vallauriens, suivant cet exemple, feront bien d'apprendre rapidement à recycler les vieux pneus. Ou à marcher pieds nus…



10/07/2009
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