La Bergerie Céramiques

A - Picasso, 1958 : rare document

C'est dans la cour d'une école de Vallauris que Picasso a installé pour la première fois l'immense panneau mural peint dans sa villa de Cannes et destiné à l'UNESCO. Pendant les heures de classe, une tenture le recouvrait, afin, nous a-t-on dit à l'époque, de "ne pas choquer les enfants".

Le samedi 29 Mars 1958, l'oeuvre était présentée au public de Vallauris avant son expédition à Paris. On doit à la vérité de rappeler que les vallauriens étaient dans leur ensemble assez fermés à l'art de Picasso, qui ne les déplaçait pas en masse. Et je ne parle pas des appréciations, plus libres à l'époque qu'aujourd'hui, où le Maître bénéficie à la fois du consensus de la pensée unique, de la reconnaissance économique  et du terrorisme intellectuel propres à décourager toute critique.

Cette présentation s'est tenue dans le cadre d'une exposition de céramiques au comité d'honneur prestigieux, et où l'on retrouvait les grands noms de l'époque et d'autres qui ont sombré dans l'oubli le plus total.


"La chute d'Icare"
"La chute d'Icare" :

L'oeuvre telle qu'elle se présente à l'UNESCO. A mon avis, c'est un immonde barbouillage, mais bon, chut. Je me souviens parfaitement de la paire de testicules en haut à gauche, cause de l'occultation de l'oeuvre aux yeux des enfants de l'école où elle fut présentée...


Idem, désolé pour le format!
Idem, désolé pour le format!

Présentation de "La chute d'Icare" à Vallauris.
Présentation de "La chute d'Icare" à Vallauris.

Chez nous, on garde tout. Ce qui m'a permis de retrouver au fond d'un carton ces quatre tickets de la présentation au public (29 Mars 1958) du grand panneau réalisé par Picasso pour l'UNESCO, où nous nous étions rendus en famille, plus un ami. Je vous livre également un dialogue particulièrement imbécile intervenu à cette occasion entre la journaliste de Radio Geneva et le Maître (désolé pour les fautes d'orthographe qui émaillent ce texte) :

Archive, la reporter : Ici la cour du groupe scolaire Anfosso ( ?), à Vallauris, où est présentée cet après-midi le panneau monumental commandé, à Pablo Picasso, par l’UNESCO pour décorer son Palais de Paris. Il y a exactement 10 ans, Picasso s’installait à Vallauris et pour remercier cette ville de l’avoir accueilli, Picasso a décidé de donner la primeur de cette œuvre colossale à ses amis de Vallauris. L’idée de ce panneau lui vint à l’inspiration lors de la célébration de ses 76 ans, en automne dernier. Commencée en février, la fresque a été exécutée dans l’atelier de la villa de Picasso, la Californie, à Cannes. Comment se présente cette fresque ? Et bien, elle affecte la forme d’un trapèze, dont la grande base mesure 10 mètres, la petite base 7 mètres et dont la hauteur approche 8, 50 mètres. En tout, une surface peinte de 85 m2, un poids de 500 kilos, réalisée en 40 panneaux séparés de contreplaqué d’acajou. C’est en somme, si vous le voulez, un grand puzzle pour géants autour de larges surfaces bleues, blanches et brunes ( ?) de signes ésotériques. Mais le maître là, au milieu d’une grande foule, que vous entendez, de photographes, de journalistes et je vais demander tout de suite, à Pablo Picasso, si la traduction de la fresque qu’il a voulue faire, cette traduction qui a été donnée par Monsieur Georges Salles, directeur honoraire des musées de France et Vice-président de la commission artistique de l’UNESCO, est vraiment cet Icare des ténèbres auxquels Monsieur Georges Salles a voulu comparé la fresque de Picasso. Maître, pensez-vous vraiment que ce soit l’Icare des ténèbres ? Pablo Picasso : Oui, je trouve que la chose de Georges Salles est très exacte, à peu près, parce qu’un peintre peint et n’écrit pas, c’est à peu près ce que j’ai voulu dire. La reporter : L’idée et l’exécution de cette fresque, maître, vous sont-elles venues il y a peu de temps, ou est-ce une œuvre de longue haleine ? Pablo Picasso : Ça a duré des mois et des mois où ça s’est transformé petit à petit sans savoir même où j’allais, n’est-ce pas, ça avait commencé à l’atelier où il y avait des tableaux, c’était mon atelier où j’étais en tain de peindre, n’est-ce pas, et petit à petit le tableau a mangé tout l’atelier, il ne restait que lui-même en disant, en exprimant des choses dont je suis le maître mais pas volontairement l’acteur. La reporter : Peut-on trouver dans votre œuvre une évolution logique de votre ensemble d’œuvres en général ? Pablo Picasso : Oui, c’est la suite, n’est-ce pas. C’est la suite de ma vie. La reporter : Avez-vous l’intention, maître, de faire une autre fresque ? Pablo Picasso : Je voudrais. Je voudrais la faire et continuer ma vie et raconter mes impressions, mes sensations et mes idées. La reporter : Je pense que vous avez fait ces panneaux séparément, il y a 40 panneaux séparés. Pablo Picasso : Oui. Ce n’était pas très commode, n’est-ce pas. La reporter : Ça, sûrement, oui. Pablo Picasso : Parce que je ne savais pas où passer d’un endroit à un autre, j’avais ça dans ma tête mais je ne le voyais pas, jamais, ce n’est qu’aujourd’hui que j’ai pu le voir. La reporter : Alors, justement, qu’elle a été cette impression de le découvrir avec nous ? Pablo Picasso : Eh bien, ça m’a plu, n’est-ce pas. Je crois que je suis en paix d’avoir ce que je voulais faire. La reporter : Maître Jean Cocteau vient d’arriver, il faut que nous lui demandions bien sûr, son impression devant cette grande fresque de Pablo Picasso. Pablo Picasso : Eh bien, selon moi, c’est le rideau qui se lève sur une époque ou qui se baisse sur une époque, ça a la volonté du public. Nous avons vécus une époque tragique, nous allons vivre une autre, c’est soi le rideau qui se baisse sur une époque tragique, soit le rideau qui se lève sur le… le rideau du prologue d’une autre époque tragique. Mais il y a une grande tragédie dans sa fresque. C’est un diplodocus, c’est le dernier animal terrible d’une époque que nous venons traverser qui est très grande d’ailleurs, mais très terrible. La reporter : Merci, maître. Et c’est maintenant à Monsieur Georges Salles, directeur honoraire des musées de France que je vais m’adresser en lui demandant de redonner, pour nous, l’explication de cette grande fresque de Pablo Picasso. Georges Salles : Sur ce mur, qu’est-ce que j’ai vu ? J’ai vu que l’UNESCO avait enfin trouvé son symbole. Au cœur de l’UNESCO, au cœur de ce nouveau bâtiment, dans lequel ce mur va se dresser, on pourra voir les forces de lumière vaincre les forces d’ombre. On verra les forces de paix vaincre les forces de mort. On verra tout cela s’accomplir grâce à la production géniale de Picasso et à côté ce combat, qui est grand, comme un mythe antique, on voit une humanité pacifiée qui assiste sur la rive de l’infinie à l’accomplissement de son destin. La reporter : Vous venez d’entendre Georges Salles, qui est directeur artistique de l’UNESCO, à Paris, qui vient de donner son explication sur le grand panneau de Pablo Picasso.

Précisons que le tableau intitulé  à l'origine "Les forces de la vie et de l'esprit triomphant du mal " par un zigoto, a été rebaptisé "La chute d'Icare" par une autre ganache pontifiante et, selon Picasso lui-même, représente...des gens qui se baignent (!). Apparemment, il y en a un au milieu qui ne sait pas trop bien nager, et qui donne des signes de déstructuration avancée...

A noter que l'oeuvre a été commencée en Février, et qu'elle est exposée en Mars. On disait à l'époque que Picasso peignait plus vite qu'un peintre en bâtiment. Les mauvaises langues ajoutent : "mais c'est beaucoup moins joli".